La presse en parle ! Reprise Slows et After Slows (création 2024)

LOKKO Hangar Théâtre à  Montpellier

En danse à Montpellier : la révélation Rita Cioffi

La chorégraphe montpelliéraine signe une pièce de groupe envoûtante, étrange et singulière. Les réminiscences lointaines du slow y renvoient les spectateur.ices au partage ressenti de vibrations très profondes.

Du temps de Bagouet

Une révélation Rita Cioffi ? En lisant cela, les bons connaisseurs du paysage chorégraphique montpelliérain ne pourront que hausser les épaules. C’est qu’on connaît Rita Cioffi depuis déjà le tournant des années 90 du siècle dernier. Elle était interprète du grand chorégraphe Dominique Bagouet, qui dirigeait alors le Centre chorégraphique national de Montpellier (un lointain prédécesseur de Christian Rizzo, donc). Après la disparition de Bagouet, Rita Cioffi poursuivit ici son propre parcours personnel.

Nous voici en 2024. Avec des moyens de production indépendante, des plus modestes, Rita Cioffi montre une nouvelle pièce sous sa signature : Slows. A propos de laquelle, on va donc s’exprimer en tant que critique de danse. Poser le contexte : des décennies de festival Montpellier Danse, des décennies de Centre chorégraphique national, nous ont habitués  à un défilé à Montpellier, des chorégraphes les plus célèbres et consacrés sur le plan international, ou encore les plus pointus de la tendance.

Il faut appeler les choses par leur nom : baignant dans ce luxe des plus hautes références artistiques, on en est venu à négliger – c’est le mot – ces chorégraphes qui vivent et qui œuvrent, depuis des décennies, à Montpellier même. Et puis un soir, sans rien d’impératif à l’agenda, titillé par le ouï-dire, un peu aussi en proie au remords et alors dans un sursaut de bonne volonté diplomatique, le critique se décide, tiens, à aller voir Slows au Théâtre du Hangar. C’est la dernière pièce de Rita Cioffi.

Un principe de lenteur

Et le critique en sort comblé. A l’instar de tout le public, généreusement enthousiaste. Que s’est-il donc passé ? Slow, ce soir-là, réunit cinq interprètes sur le plateau (quoique ayant été créé pour sept, mais les frais de tournée imposent leur rude économie). D’emblée, Slow s’imprègne littéralement d’un principe de lenteur. Dès les premiers pas, on s’étonne que l’attention puisse se concentrer sur quelque chose de si simple que le soulevé d’un pied à partir du sol, son déroulé, son survol, puis sa façon de se déposer. Rien qu’un pas. Toute une histoire. Captivante.

Puis, toute une heure durant, les deux danseuses, les trois danseurs, vont retenir patiemment leur énergie. Jamais rien ne s’emporte. L’abandon du poids vers le sol, ou au contraire les relevés, très décomposés, progressifs et déliés, confèrent une texture étonnamment dense, préhensible, réversive, à la dynamique du mouvement. Il en va aussi de toute une orchestration enveloppée des circulations des ceintures scapulaires, dorsales, pelviennes. Et c’est une délicate fragilité des équilibres, leur tenue, leur lâché.

Le groupe entier se sculpte

Une chorégraphie de peu de trajectoires, de touchés assez rares, compose une gravitation conjonctive, dont chaque corps paraît une composante moléculaire. Une grande caresse s’adresse à l’espace. Rien d’intrusif, rien qui s’empare, ni ne tranche. Le groupe entier se sculpte, se suspend, se métamorphose incessamment. Parfois cela finit par s’étaler au sol, comm on redistribue des cartes. Tout cela appelle un regard doux, dans l’attente. Plongé en humeur amniotique, le corps spectateur lui-même ressent, comme rarement, qu’il fonctionne en écho perceptif de celui des performeur.ses. Spectateur engagé dans ce transport.

Un flux homogène se crée, non sans quelques saillies surréalistes, et touches d’humeur décontractée. Des unissons procèdent par un effet de déteinte, suggérés, non soulignés. Et chaque interprète reste éminemment singulier, mais à l’abri de tout surjeu virtuose. Toutefois, on ne peut que mentionner la présence parmi eux de Matthieu Patarozzi. Cela n’enlève absolument rien au mérite de ses quatre partenaires de scène. Mais sa très haute taille, son corps très mince, attirent sur sa performance de la pondération, une attention captivée. Au passage on médite sur ce fait que ce sont plutôt les corps gros qui sont considérés hors normes en danse ; mais pas les géants efflanqués. C’est à questionner.

I will always love you

Un bain de lumières très stables respecte cette évolution rare. Dominique Fabrègue, qui elle aussi œuvrait pour Bagouet, a composé tout un vestiaire d’intelligence décontractée. Les danseur.ses ne cessent de se métamorphoser en changeant de costumes au vif de l’action, dans un jeu de dégaines, d’allures, de plis, au touché des tissus. L’installation sonore de Yann Van Der Cruyssen occupe une part énorme au coeur du plateau. C’en est d’autant plus ouvert, pour diffuser une atmosphère non tapageuse, de rêveries amoureuses, à partir de tubes d’autant plus nourrissants pour l’imaginaire, qu’ils sont rabâchés, archi connus.

Au premier rang desquels, Whitney Houston, dans I will always love you. Immense illusion d’un amour de rien quand tout un chacun.e danse le slow.

Photos Marc Ginot

DANSER CANAL HISTORIQUE studio du Colisée, CCN de Roubaix Ballet du nord dans le cadre du Label Danse 

« Slows » par Rita Cioffi

Passée de Ris et Danceries à Dominique Bagouet avant de voler de ses propres ailes créatrices, personnalité aussi singulière que discrète, Rita Cioffi, chorégraphe associée au Ballet du Nord, a proposé avec Slows une chorégraphie déconcertante autant que séduisante. Pleine de désirs qui ne se disent ni ne se réalisent, de mouvements qui ne s'assument pas, Slows possède le charme étrange de cette cinquième saveur de la cuisine asiatique, l'umami…
Éloge de la fadeur aurait dit le sinologue François Jullien.  

Comme son titre le laisse entendre, Slows commence par prendre son temps. Le public est déjà installé, quelques chaises sont dispersées au centre de l'espace, des vêtements traînent un peu. En fond de scène, une petite plateforme sur laquelle on distingue un certain appareillage technique. Cela semble abandonné un peu négligemment, pas du tout une boîte de nuit, pas vraiment une soirée chez des copains, un entre-deux sur lequel plane une insaisissable mélancolie. La lumière est tombée, cela a commencé et rien ne se passe. Puis un mouvement et les interprètes entrent sur le plateau, un à un, avec hésitation, lentement, en restant en périphérie. Une sensation d'attente et de désœuvrement marquée de timidité ; l'une descend plus énergiquement, s'engage avec détermination, presque fébrile. Et s'assoit. Pourtant cette intervention a produit une rupture dans ce climat vaguement neurasthénique. Sans cesser de porter leur torpeur, tous entreprennent de changer de tenue en empruntant celles qui s'offrent à eux, éparses sur les chaises. Quand deux danseurs, face à face, en miroir, commencent à courir en descendant et en remontant, sans objet mais avec une tension forte, ce soudain mouvement tient du séisme dans le climat suspendu qui prévalait. 

"Slows" - rita Cioffi © Kalimba

Et qui revient. Les chaises sont écartées, laissant libre un espace où s'ébauche, pour chacun, un début de gestuelle. Rien de très construit, quoique quelques réponses s'élaborent. Presque un unisson, l'esquisse d'une composition faite d'amorces et de tentatives. Une préparation imperceptible à la danse alors que les essais multipliés de tenues diverses détournaient l'attention. Comme dans une soirée, cette pièce est pleine de faux départs et d'illusion de commencements.

Slow commence en permanence et ses débuts restent suspendus, sans aboutissement. La pièce juxtapose de petites séquences assez structurées pour que l'on puisse y lire les matériaux gestuels, mais tout s'y déroule dans une continuité ouatée qui émousserait l'attention si celle-ci ne s'éveillait en permanence à l'annonce d'un événement qui en définitif n'aboutit pas. 

"Slows" - rita Cioffi © Kalimba

Slow semble s'assoupir et pourtant la danse est partie sans prévenir et à cinq puis six puis sept, ils en arrivent à l'unisson. Pina Bausch (du moins une grande robe blanche qui l'évoque) s'est glissée parmi eux. Travail au sol, passage fluide, grand plié seconde, le groupe se découvre uni dans le mouvement. Le long son tenu, bruit blanc obsédant, se module et voilà Céline Dion. Cette improbable soirée, organisée avec des protagonistes incertains, débute enfin. Mais pas trop. Céline s'est tue, la langueur gagne à nouveau. Le germe de danse, pour ralentir, ne disparaît pas cependant et garde cet effet de faux rythme, très ralenti mais pas totalement lent… Bel exemple dans un superbe duo, vers la fin, tandis que Marie-Jeanne proclame que « le monde est stone » deux danseurs athlétiques et demi-nus se tournant obstinément le dos, se collent l'un à l'autre alors que leur mouvement dégage plus une sensation d'intensité que de lenteur. 

Galerie photo © Lentheric

Et l'intérêt de la pièce tient dans ce constant « à côté ». Certes -et tout y est pour évoquer la danse de société et vaguement désuète- la chorégraphie rend un hommage à ce grand disparu des soirées débridées : le slow. Pourtant, ne pas y attendre, voire redouter, un long défilé de couples serrés l'un à l'autre dans une contemplation amoureuse d'autant plus profonde que peu spectaculaire. L'intelligence du propos tient à ce qu'il rend sensible à la fois la sourde langueur timide des danseurs au moment du quart d'heure américain, la farouche détermination souvent dépourvue d'objet du danseur qui s'y lance le premier, la sensualité qui s'insinue dans un mélange d'avidité et d'inquiétude. Rita Cioffi n'illustre en rien, n'évoque même pas. Elle laisse les émotions de nos soirées passées revenir par bouffées au gré de scènes paradoxales, car tout-à-fait concrètes et pourtant sans rapport avec ce qu' aurait pu avoir été une soirée de slow dans une mémoire même lointaine ! Il n'y a rien d'impossible ni de surprenant, alors, à voir Pina Bausch faire un équilibre sur les mains, et chacun échanger ses frusques dans un mouvement que rien ne qualifierait de débridé

Le festival Label danse présente des projets en cours, des oeuvres inachevées ; celle-ci ne déroge pas, ce qui n'a aucune importance tant la singularité de ce climat incertain et équivoque, plein de vains départs et de promesses, touche déjà parfaitement à son but. Le slow des soirées lointaines de dragues adolescentes, a toujours été un moment déceptif, toujours espéré et jamais franchement décisif. Un moment délicieux de fadeur dont l'odeur vague se sentirait presque encore tandis que tous sont déjà sortis du plateau. Comme dans une fin de soirée.

Philippe Verrièle

Vu le 2 avril au studio du Colisée, CCN de Roubaix Ballet du nord dans le cadre du Label Danse.

OFFSHORE - Agora, cité internationale de la danse / Montpellier Danse

 

Cie 04 mai 2024 13:00

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